Le récit documenté d’Alarm phone, en lien avec Sea Watch et Mediterranea, est glaçant. L’ONG qui fournit une assistance téléphonique aux personnes en détresse en Méditerranée rapporte les tragiques jours d’errance d’une embarcation et l’inaction criminelle des autorités européennes qui a coûté la vie à douze personnes.

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« La crise du COVID-19 ne saurait justifier qu’on laisse sciemment des personnes se noyer, qu’on laisse des rescapés attendre en mer pendant des jours un débarquement ou qu’on finisse par les renvoyer en Libye où ils sont exposés à de graves violations des droits de l’homme », a réagi ce vendredi 17 avril Dunja Mijatović, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.

Un appel de détresse dès la nuit du 10 au 11 avril

Dans la nuit du 9 au 10 avril, soixante-trois migrants prennent la mer depuis le port libyen de Garabulli, à une soixantaine de kilomètres à l’est de Tripoli. La nuit suivante, Alarm phone reçoit un appel de détresse du bateau gonflable qui a dérivé dans les eaux internationales. L’ONG alerte alors les autorités compétentes à Malte, en Italie et en Libye. Celles-ci avaient déjà été informées dans la journée, de la présence de l’embarcation, repérée dans la zone de sauvetage libyenne, par un avion de l’agence européenne Frontex.

Le samedi 11 avril, les gardes-côtes libyens informent l’ONG qu’ils ne sont pas en mesure de procéder à un sauvetage et que Malte et l’Italie avec lesquels ils sont en contact refusent de l’organiser. Le dimanche 12 avril, le bateau arrive dans la zone de sauvetage maltaise.

Cinq personnes mortes de soif pendant leur agonie en mer

Mais ce n’est que dans la nuit du 13 au 14 que Malte envoie un message aux navires qui transitent dans la zone tout en précisant que l’île n’ouvrira pas ses ports pour un débarquement. Le navire espagnol Ivan qui s’approche de l’embarcation a alors ordre d’attendre des secours et ne peut lui-même procéder au sauvetage. Sept personnes de l’embarcation se jettent à l’eau dans l’espoir de rattraper à la nage le bateau qui s’éloigne et allongent la liste des noyés « portés disparus », sous l’œil de l’avion des forces maltaises.

Ce seront finalement des bateaux libyens qui viendront tardivement « porter secours ». Les corps de cinq personnes, mortes de soif pendant les journées d’agonie en mer, ont été débarqués à Tripoli en Libye, portant à douze le nombre de victimes. Et les 51 survivants, Erythréens et Soudanais, dont huit femmes, deux mineurs et un bébé, ont été incarcérés dans le centre de détention de Tarik al Sikka de la capitale libyenne. Le haut-commissariat aux réfugiés présent au moment du débarquement confirme que la plupart d’entre eux étaient des demandeurs d’asile enregistrés par leur service.

« La Pâque de la honte »

« Les réseaux Alarm Phone, Sea-Watch et Mediterranea ont mobilisé toutes leurs forces pour éviter ces morts, en vain, s’insurge Alarm phone. Ce cas de détresse était connu des autorités européennes depuis six jours ».

« La Pâques de la honte », dénonce l’association Mediterranea qui entend mener une action en justice pour violation du droit de la mer. À Malte, l’ONG Repubblika a, de son côté, déposé plainte le 15 avril contre le gouvernement maltais pour sa décision de fermer les ports. Et quelque 300 professionnels de santé ont, dans une tribune, exhorté le premier ministre à venir en aide à ceux dont la vie est menacée en mer, estimant que le coronavirus ne peut justifier de « permettre à des personnes de mourir au nom de la santé publique ».

L’intensification de la guerre dans la région de Tripoli et les beaux jours en mer ont poussé au départ nombre d’étrangers aux dures conditions de vie sur le sol libyen. Au cours de la même semaine, deux embarcations et leurs 178 passagers ont réussi à gagner les côtes de Sicile et 47 personnes sur un 4e bateau de fortune ont été secourues in extremis le 13 avril par l’Aita Mari de l’ONG humanitaire basque SMH qui faisait route vers l’Espagne pour une escale technique, sans personnel médical ni équipe de secours à bord.

MSF jette l’éponge

L’Italie est, elle, finalement venue à la rescousse de l’Alan Kurdi. Après douze jours d’attente en mer, les 146 migrants du bateau humanitaire allemand sont transférés ce vendredi 17 avril sur le ferry Tirrenia, sur lequel ils resteront en quarantaine. Trois passagers avaient déjà été transférés à Palerme pour urgence sanitaire.

C’est dans ce contexte extrêmement tendu en Méditerranée, que Médecins sans frontières déclare être contraint de jeter l’éponge. L’organisation qui souhaitait reprendre ses missions de sauvetage n’a pas pu trouver d’accord avec son partenaire, l’ONG SOS Méditerranée affréteur de l’Ocean Viking, sur la manière d’opérer en mer malgré la crise sanitaire. MSF incrimine les États européens, qui «continuent de se dérober devant leur responsabilité, contrecarrant sans relâche les efforts des ONG».