Doctolib

Après avoir refusé de suspendre des comptes de professionnels de bien-être, Doctolib en a finalement supprimé 17. La Miviludes a demandé une réunion de travail.

Doctolib/Capture

La polémique a enflé tout le week-end avant de remonter jusqu'aux sommets de l'Etat. Doctolib, principale plateforme de prise de rendez-vous médicaux en ligne en France, est la cible de vives critiques de médecins, pharmaciens, etc. Ces derniers dénoncent la présence sur la plateforme de "praticiens bien-être" peu différenciables des véritables professionnels de santé. Parmi les profils visés, des sophrologues, iridologues, psychanalystes de la thérapie quantique ou encore des naturopathes, des professionnels aux pratiques légales mais sans réglementation et dont certains représentants ont des pratiques dangereuses, proches du charlatanisme et des dérives sectaires.

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Après avoir répondu, dans un premier temps, que ce n'était pas à eux de décider qui a le droit d'exercer ou non et avoir appelé les internautes à effectuer eux-mêmes des signalements sur son site, le groupe Doctolib a finalement annoncé, lundi 22 août, qu'il suspendait 17 profils et qu'il engageait "un travail de fond" avec le comité médical du site, les ordres et les professionnels de santé. Les 17 profils concernés sont ceux de naturopathes - qui visent à maintenir l'organisme en bonne santé grâce à un ensemble de méthodes "naturelles", mais qui n'ont aucun fondement avéré sur le plan scientifique ou médical -, qui mettaient en avant leur formation avec Thierry Casasnovas ou Irène Grosjean. Ces deux personnalités influentes dans le milieu des médecines dites alternatives affichent des positions dénoncées depuis des années par les professionnels de santé. Le premier a été épinglé à de multiples reprises pour la dangerosité de ses conseils et inquiète les autorités. La seconde est sous le feu des critiques pour avoir recommandé aux parents de pratiquer sur leurs enfants des actes qui s'apparenteraient à des agressions sexuelles sur mineur.

La situation est remontée jusqu'à Sonia Backès, secrétaire d'Etat chargée de la Citoyenneté auprès du ministre de l'Intérieur et des Outre-Mer, qui a demandé a Christian Gravel, préfet et président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), d'organiser "une réunion de travail afin d'évoquer cette question et d'en tirer tous les enseignements utiles", a tweeté ce dernier, lundi 22 août. Une réaction positive qui ne doit pas masquer un problème plus profond et de la nécessité de tracer des frontières plus claires entre bien-être et santé, estime Pierre de Bremond d'Ars, médecin généraliste et président de (No) FakeMed, un collectif qui rassemble des professionnels de santé luttant contre la désinformation en santé et qui a notamment participé à la fronde contre Doctolib.

Doctolib présente des naturopathes, iridologues ou autres psychanalystes de la thérapie quantique comme des "professionnels de santé". La plateforme se rendrait ainsi coupable d'une publicité mensongère et d'une faute morale selon vous. Existe-t-il également aussi une faute professionnelle et juridique ?

Pierre de Bremond d'Ars : Il est compliqué de trancher sur une "culpabilité". Mais le flou volontairement engendré par le référencement sur le même site, avec les mêmes codes couleurs, les mêmes présentations, de professionnels de santé, de soignants, à côté de personnes ayant des pratiques non conventionnelles et ne reposant sur pas grand-chose de scientifique pose question. Cela met en danger les patients en légitimant les pratiques farfelues de certains, et ça entraîne une confusion, qu'elle soit volontaire ou non.

Dans une maison de santé, il n'est pas permis d'avoir une salle d'attente commune avec des professions non conventionnelles. Pourquoi pas la même chose sur un site Internet ?

L'accès aux soignants est compliqué, on le sait, nous le vivons chaque jour dans nos consultations. Qu'une recherche sur le premier site de rendez-vous médicaux de France pour un problème de tabac oriente vers une pratique à risque de dérive sectaire, car les médecins ne sont pas disponibles dans la semaine, est inacceptable.

Mais dans une maison de santé, il n'est pas permis d'avoir une salle d'attente ou des locaux communs avec des professions non conventionnelles, afin de ne pas leur donner une légitimité (articles 20 et 30 du code de déontologie médicale). Pourquoi pas la même chose sur un site Internet ? Il serait tout à fait possible pour Doctolib de créer une version spécifique "Bien-être" de son site, avec un nouveau nom, un autre code couleur, et des bases de données séparées et distinctes.

Vous écrivez que Doctolib met en avant des "praticiens promouvant des pratiques dangereuses ou à risque de dérive sectaire". Quelles sont les pratiques qui vous ont le plus inquiété ?

Ceux suspendus en urgence ce jour, notamment les naturopathes se réclamant de l'enseignement d'Irène Grosjean et de Thierry Casasnovas, plusieurs fois épinglés pour des pratiques dangereuses et des affirmations fantaisistes. Certaines incitent les patients à arrêter leur traitement pour le diabète ou leur chimiothérapie.

Les pratiques les plus à risques sont connues et référencées par la Miviludes. Ce sont le reiki, la naturopathie, le jeûne extrême et crudivorisme, le néochamanisme et access bars [NDLR : la Miviludes souligne également que les psychothérapies et le développement personnel "continuent de compter parmi les portes d'entrée d'influence sectaires"]. L'accès à des populations vulnérables - les enfants, personnes dans un parcours de procréation/fertilité, en situation de handicap, cancer, maladies psychiatriques - est aussi un sujet de préoccupation majeur.

Doctolib a dans un premier temps refusé de faire le ménage et a plutôt invité ses utilisateurs à signaler eux-mêmes les profils potentiellement dangereux. Selon vous, ce n'est pas aux usagers de savoir qui est un véritable professionnel de santé et qui ne l'est pas. Existe-t-il néanmoins une liste des pratiques de soin non reconnues ?

Les professionnels de santé sont référencés dans le code de santé publique :

  • Les professions : médecins, sages-femmes et odontologistes (art. L4111-1 à L4163-10).
  • Les professions de la pharmacie et de la physique : pharmaciens d'officines (exerçant en ville) et hospitaliers et physiciens médicaux (art. L4211-1 à L4252-3).
  • Les professions d'auxiliaires médicaux (infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures podologues, ergothérapeutes et psychomotriciens, orthophonistes et orthoptistes, manipulateurs d'électroradiologie médicale ou ERM et techniciens de laboratoire médical, audioprothésistes, opticiens lunetiers, prothésistes et orthésistes, diététiciens), aides-soignants, auxiliaires de puériculture, ambulanciers et assistants dentaires (art. L4311-1 à L4394-4).

Certaines professions sont encadrées par des décrets mais ne désignent pas des professionnels de santé : le statut de l'ostéopathie est par exemple flou. Le décret de 2007 en fait mention, mais afin de cadrer les actes et d'interdire pas mal de choses. L'ostéopathie n'a pas fait à ce jour la preuve de son efficacité sur quoi que ce soit en dehors d'une amélioration modérée sur les lombalgies simples, équivalentes aux pratiques conventionnelles (de kiné notamment), et n'est pas dénuée d'effets indésirables et de risques, d'où le cadrage notamment des manipulations cervicales, des nourrissons etc.

Vous avez déclaré, sur le compte Twitter de NoFakeMed, que "Doctolib doit mettre en place une veille, une modération dans les prétentions diagnostiques, thérapeutiques ou la dangerosité des pratiques". Mais établir une liste des bonnes et mauvaises pratiques et de les bannir de Doctolib ne risque-t-il pas de donner champ libre à ces praticiens sur d'autres plateformes ? La solution ne repose-t-elle pas dans les mains de l'Etat et, dans ce cas, où se trouve la liberté de chacun de se "soigner" comme il l'entend ?

C'est une vaste question, combien avez-vous d'heures ? Pour l'instant, nous sommes dans le temps de l'agitation médiatique. Mais il y a derrière une question importante : comment fait-on dans un monde numérisé où les frontières entre bien-être et santé sont floues ? Comment cadrer les choses pour le bien du patient, s'assurer que tout le monde soit bien soigné et ne pas entretenir de confusion, qu'un patient puisse consulter un professionnel de santé en cas de problème de santé, et un professionnel de bien-être quand il en a envie ?

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En résumé, il faut informer les patients des risques, donner les moyens aux institutions en charge - la Miviludes, les agences régionales de santé, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes -, mettre les ordres devant leurs responsabilités de formation médicale continue, de contrôle et de suivi des pratiques.

Comment placer le curseur entre les "bons" et les "mauvais" praticiens du bien-être ?

Il n'est pas souhaitable de mettre tout le monde dans le même panier ni de tout jeter. Prenez le yoga. Il y a de nombreux bons praticiens, mais aussi de nombreuses dérives, comme l'a relevé la Miviludes. L'interdiction des pratiques est vaine. Ce qu'il faut, c'est éduquer le grand public. Le but de notre collectif est de lutter contre les gens qui dérivent et surtout de donner des informations aux patients leur permettant de se soigner en sécurité, par exemple de montrer ce que sont les "drapeaux rouges" afin que les personnes qui choisissent des pratiques "bien-être" puissent les avoir en tête. Il existe un article de la revue professionnelle Prescrire qui est très bien. On retrouve également ces informations sur le site du ministère de la Santé.

Les dérives n'existent pas seulement chez les professionnels de bien-être, mais aussi chez les professionnels de santé...

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Bien sûr que le ménage est à faire chez nous aussi [NDLR : le collectif FakeMed s'est créé à l'origine autour de la lutte contre le remboursement de l'homéopathie et ses membres ont été la cible de procès de médecins homéopathes]. Ce que nous appelons de nos voeux est que les universités, les ministères et les ordres se saisissent du problème et donnent un cadre aux pratiques, qu'ils cessent leur tolérance historique vis-à-vis de pratiques qui n'ont pas de fondements scientifiques et qui nous ridiculisent à l'international. Quand nous disons à des médecins étrangers que nous remboursions l'homéopathie il y a encore quelques années [NDLR : le déremboursement total a été acté en 2021], ils n'en reviennent pas.

Vous estimez que Doctolib est en situation de monopole. Quel risque cela représente-t-il ? Quelle est la responsabilité de l'Etat ?

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Doctolib a su répondre lors de la campagne de vaccination à la demande de l'Etat de fluidifier l'accès aux rendez-vous pour les vaccins. C'est un travail énorme et ils ont été au rendez-vous. Ils ont ainsi acquis une situation de monopole dans ce domaine avec une validation implicite des autorités sanitaires et de l'Etat. On est donc en droit d'attendre une forme d'exemplarité et d'honnêteté quant à l'offre de soins. Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, comme disait Peter Parker [NDLR : Spiderman].

Pourquoi Doctolib met-il des professionnels du bien-être en avant et sur le même plan que des professionnels de santé, est-ce par méconnaissance, ou comme vous l'écrivez, pour des raisons pécuniaires ?

Est-ce le fait que le marché des soignants soit saturé ou qu'il existe une méconnaissance du code de santé publique et du statut des professionnels de santé ? Quel autre intérêt y aurait-il à proposer des pratiques qui flirtent avec l'exercice illégal de la médecine ou l'arnaque ? Mais l'important est qu'ils corrigent le tir, qu'ils fassent évoluer les choses pour le bien des patients et ne pas entretenir une confusion.

Avez-vous saisi l'Ordre des médecins et pensez-vous qu'il agira, compte tenu de sa frilosité habituelle concernant ces sujets ?

Le temps ordinal n'est pas le temps du buzz. Nous avons alerté plusieurs fois l'Ordre du danger que présentent la diffusion et la promotion de pratiques de soins non éprouvées sur les réseaux sociaux et internet. A terme, en sortie de crise, ce sera peut-être l'occasion pour les ordres de réfléchir à cet aspect du numérique en santé et à la séparation entre santé et bien-être, en protégeant les patients des dérives sectaires et de la désinformation. Nous sommes en effet dans l'attente d'une clarification des tutelles et ordres professionnels.

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