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Santé

Variole du singe : Le laboratoire danois Bavarian Nordic propulsé sur le marché mondial des vaccins

Le laboratoire danois Bavarian Nordic croule sous les commandes de vaccin contre la variole du singe qui affluent du monde entier. La France vient notamment de commander 1,5 million de doses. En situation de monopole, la biotech a un boulevard de croissance devant elle. L’occasion pour cette petite entreprise de devenir un acteur du marché mondial des vaccins. 

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Bavarian Nordic fabrique le seul vaccin homologué contre la variole du singe.

Bavarian Nordic fabrique le seul vaccin homologué contre la variole du singe.

Mark Lennihan/AP/SIPA

C’est un tournant que le laboratoire danois Bavarian Nordic n’avait pas vu venir. Installée au nord de Copenhague, au Danemark, la petite biotech qui fabrique le seul vaccin homologué contre la variole du singe a connu une activité record ces derniers mois. L’OMS a déclenché en juillet son plus haut niveau d’alerte, alors que 2.673 cas ont été recensés en France selon le dernier bilan de Santé publique France et plus de 38.000 dans le monde. Les commandes de Bavarian Nordic s’envolent à mesure que le virus se propage. Et pour cause: il est le seul laboratoire à produire un vaccin de 3e génération (c’est-à-dire ne se répliquant pas dans l’organisme humain) contre la variole du singe, commercialisé sous le nom d’Imvanex en Europe, où il est autorisé depuis 2013, de Jynneos aux Etats-Unis et d’Imvamune au Canada.

La France a annoncé ce dimanche 11 août avoir commandé 1,5 million de doses, tandis que les Etats-Unis en ont commandé 7 millions. “Parmi les 90 pays touchés par la variole du singe, nous avons signé des contrats avec la grande majorité d’entre eux”, indique Rolf Sass Sorensen, vice-président de Bavarian Nordic contacté par Challenges. En situation de monopole temporaire, la biotech danoise a un boulevard de croissance devant elle. Depuis mai, les actionnaires ont vu le prix de leur action tripler et la société a revu son chiffre d’affaires à la hausse à près 400 millions d’euros, soit le double de ce qui avait été annoncé en mai. “C’est une opportunité pour nous de grandir et d’accroître notre production”, assure Rolf Sass Sorensen. 

Sous-traiter la production 

Pour l’heure, le laboratoire estime pouvoir approvisionner le marché mondial. “Nous produisons des doses à l’heure où je vous parle”, explique le vice-président de l’entreprise qui a une capacité annuelle de production de 30 millions de doses. Mais la société cherche à s’associer à d’autres laboratoires pour accroître sa production. “Nous sommes en phase de négociation avec un laboratoire américain pour sous-traiter la production. Nous pourrions vendre des licences à d’autres fabricants”, souligne Rolf Sass Sorensen. Il prévient toutefois que la fabrication du sérum est “particulièrement compliquée” puisqu’il s’agit d’un vaccin vivant à virus atténué qui doit être maintenu à très basse température (-80 degrés). La durée de fabrication du sérum est d’environ 6 mois. “Tout le monde n’est pas capable de le produire”, alerte Rolf Sass Sorensen. 

À court terme, Bavarian Nordic ne risque donc pas de perdre sa position de monopole. “Elle ne devrait pas non plus être rachetée par une grosse entreprise pharmaceutique parce qu’elle a l’avantage d’à la fois produire et de faire la recherche alors qu’habituellement, les entreprises font soit l’un, soit l’autre”, analyse Nathalie Coutinet, économiste de la santé spécialiste de la stratégie des firmes industrielles. Pour elle, le vaccin contre la variole du singe produit par Bavarian Nordic constitue pour eux “une rampe de lancement pour se faire connaître et grossir”. “Ils pourront lever des fonds sans problème désormais”, estime-t-elle. 

Prise de risque industrielle 

Pour en arriver là, il a fallu vingt ans à Bavarian Nordic. Dans les années 2000, alors que la variole était éradiquée depuis 1979, l’entreprise spécialisée dans la fabrication et la commercialisation des vaccins contre les maladies infectieuses et le cancer s’est lancée dans des recherches autour du vaccin contre la variole. “Bill Clinton, alors président des Etats-Unis, était partisan du développement de fioles de vaccins de 3e génération contre la variole, de peur qu’elle soit utilisée comme arme biochimique”, explique Patrick Zylberman, historien de la santé spécialiste des épidémies. C’est dans ce cadre-là que Bavarian Nordic se met à fabriquer un vaccin de 3e génération contre la variole, qui produisait peu d’effets secondaires. “C’était une vraie prise de risque industrielle. Ils développaient un vaccin dont ils n’étaient pas sûrs de pouvoir écouler les stocks,” pointe Patrick Zylberman.

“Un laboratoire français ne ferait jamais ça” 

En 2004, soit après les attentats du 11 septembre 2001, les Américains lancent le programme Bioshield (bouclier biologique) pour se protéger d’une attaque terroriste. L’un des volets du plan est de constituer des stocks stratégiques de vaccins et de médicaments. Les Etats-Unis financent alors le laboratoire Bavarian Nordic pour qu’il fabrique un vaccin contre la variole sans effet indésirable. En 2013, le vaccin produit par Bavarian Nordic est commercialisé sous le nom de Jynneos en Amérique du Nord et d’Imvanex en Europe. Efficace à 85% pour prévenir la variole classique et la variole du singe selon l’OMS, il est alors approuvé par les autorités sanitaires européennes et américaines (la FDA). Les Etats-Unis ont d’abord commandé 20 millions de doses, puis 60 millions supplémentaires tandis que le Canada a commandé 143.000 doses selon l’historien de la santé. La France a également fait des stocks stratégiques mais il est impossible de savoir combien elle en dispose, ces informations étant classées secret défense. “La toute petite entreprise Bavarian Nordic a été la plus maline. Elle a pris des risques et se trouve aujourd’hui à la tête d’un paquet de millions de dollars. C’est une aventure peu banale”, souligne l’historien de la santé. Pour lui, un laboratoire français “ne ferait jamais ça”.

Un portfolio de vaccins en développement 

Alors que l’entreprise prévoyait des pertes début 2022, la voilà propulsée sur le marché mondial des vaccins, convoitée par des pays du monde entier. De quoi trouver les financements nécessaires pour les autres vaccins développés par Bavarian Nordic. Hormis le sérum antivariolique, le laboratoire produit des vaccins contre l’encéphalite à tiques, la rage, l’Ebola, le Covid-19, les virus respiratoires VRS et le cancer. “Nous avons de nombreux vaccins dans notre portfolio et je pense que notre situation va nous donner l’opportunité de les commercialiser avec succès dans les 12 prochains mois”, s’enthousiasme Rolf Sass Sorensen. “Leur monopole va les aider à aller beaucoup plus vite pour trouver les fonds auprès des investisseurs ou des gouvernements ”, abonde Nathalie Coutinet. Dans cette aventure industrielle, Bavarian Nordic doit néanmoins s’armer de prudence, prévient Patrick Zylberman: “Le monde du vaccin est une industrie très difficile et compétitive où le public dit noir puis blanc. Ce n’est pas gagné”. 

En France, la vaccination se fait au compte-goutte 

Le 10 août dernier, plus de 30.0000 personnes avaient été vaccinées en France contre la variole du singe. Plus d’une centaine de centres de vaccination ont été ouverts pour assurer la campagne de vaccination et cinq pharmacies d’officine situées en Ile-de-France, dans les Hauts-de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur participent également à la vaccination à titre de test. Le ministre de la Santé François Braun a assuré que la France disposait de suffisamment de doses pour couvrir les quelque 250.000 personnes éligibles à la vaccination préventive selon les critères définis par la Haute autorité de santé début juillet. Mais des associations de lutte contre les discriminations LGBT+ ainsi que des élus pressent le gouvernement d'accélérer la cadence, jugeant que l’on est actuellement “loin du compte”. “Au rythme actuel, toutes les personnes éligibles” seront vaccinées seulement “fin décembre et avec une seule dose”, ont déclaré ces associations, dont Act-up Paris, AIDES et Sidaction. Pour éviter ce scénario, il faudrait vacciner “au moins 37.000 personnes par semaine selon eux”. La France vient de commander 1,5 million de doses à Bavarian Nordic. Mais elles ne seront livrées qu’à partir de 2023. En attendant, elle dépend de ses stocks stratégiques, couverts par le secret défense. La question qui est sur toutes les lèvres: la France dispose-t-elle d’assez de stocks stratégiques? Pas sûr, selon Patrick Zylberman, historien de la santé spécialiste des épidémies. “Les stocks stratégiques ne vont vraisemblablement pas suffire jusqu’à 2023”, prévient-il. D’où des pouvoirs publics, pris entre deux injonctions: celle “d’aller plus vite parce que associations et élus le réclament” et celle “de ne pas aller trop vite, parce qu’on risque de manquer de doses rapidement”, analyse Patrick Zylberman. Les mois à venir s’annoncent tendus pour la vaccination contre la variole du singe. 

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