[Mediator] Les laboratoires Servier font appel de leur condamnation historique

[Actualisé le 8 avril] Le 29 mars 2021, le Tribunal correctionnel de Paris a rendu son délibéré tant attendu dans l’affaire du Mediator. Le montant de la peine d’amende prononcée à l’encontre du laboratoire Servier – 2,7 millions d’euros – fait débat. Le Parquet de Paris, les laboratoires Servier et les parties civiles ont annoncé qu'ils faisaient appel du jugement. Nos explications juridiques.

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[Mediator] Les laboratoires Servier font appel de leur condamnation historique
La justice a tranché le 29 mars dans l'affaire historique du Mediator.

Actualisé le 8 avril : Sur le principe, la condamnation des laboratoires Servier marque une étape importante dans l’histoire des grands scandales sanitaires en France, par la reconnaissance d’un acte de tromperie délibéré du laboratoire. Malgré tout, les 2,7 millions d’euros prononcés à titre de peine d’amende sont jugés grandement insuffisants par les parties civiles. Les juges semblent toutefois avoir prononcé l'amende maximale au regard des infractions retenues. Les parties ont toutes annoncé faire appel de cette décision.  

Une condamnation historique

Les laboratoires Servier ont été reconnus coupables de « tromperie aggravée », délit propre au droit de la consommation, ainsi que d’homicides involontaires et de blessures involontaires.

Le Tribunal correctionnel les a en revanche relaxé du chef d’escroquerie, tandis que Jean-Philippe Seta, ex-numéro deux du groupe, a été reconnu coupable des mêmes faits. L’Agence nationale du médicament a quant à elle été déclarée coupable d’homicides et blessures involontaires.

Sur le principe, les juges ont donc reconnu l’existence d’une tromperie délibérée de la part du laboratoire, ainsi qu’une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité.

Interrogé par L'Usine Nouvelle, Jean-Christophe Coubris, un des avocats des parties civiles, s’est félicité de cette condamnation historique d’un laboratoire pharmaceutique. « J'estime que ce délibéré est historique et mesuré dans la mesure où il fait état d'une fraude manifeste et reconnaît le maintien délibéré d'un produit qu'ils savaient toxique (…) Combien de fois a-t-on fait condamner un laboratoire ? Je suis satisfait et soulagé et c'est le message que je vais tenter de faire passer à toutes mes victimes : ce à quoi on est arrivé n'était pas évident au départ, c'est un pas gigantesque ».

2,7 Millions d’euros, une peine d’amende plafonnée par le maximum légal... à l'époque des faits

Chaque laboratoire concerné a été condamné, au titre des homicides involontaires et des blessures involontaires, à une peine d’amende de 375 000 euros, outre des peines d’amende contraventionnelles, allant de 750 à 7 500 euros selon la gravité des séquelles. En totalité, les laboratoires Servier ont été condamnés à une peine d’amende de 2,7 millions d’euros. Jean-Philippe Seta a par ailleurs été condamné à une peine de quatre ans d’emprisonnement assorti du sursis total.

Si l’avocat des parties civiles a souligné qu’il s’agissait d’une somme « non négligeable », il s’est fait le relais d’une certaine déception de la part de ses clients. « Certaines victimes ne s'estiment pas satisfaites ; elles auraient souhaité des sanctions plus sévères en termes de condamnation pénale et d'indemnisation, voire une fermeture des laboratoires ».

Les 2,7 millions d’euros d’amende pour tromperie et homicide involontaire pourraient paraître effectivement dérisoires par rapport aux quelques 444 millions d’euros d’amende qui avaient été infligés en septembre 2020 par l’Autorité de la concurrence aux laboratoires Novartis, Roche et Genentech pour pratiques abusives anti-concurrentielles…

Ce montant s’explique cependant par les chefs d’accusation retenus par les juges, par l’impossibilité pour le tribunal de cumuler les peines d’amende pour chaque infraction, et par le montant des amendes tel que prévu par les textes à l'époque des faits. Ainsi, ce sont les peines maximales prévues pour le délit de tromperie dans la version du texte applicable à l'époque des faits (375 000 euros), que le tribunal a appliqué pour chaque laboratoire.

Irène Frachon, pneumologue considérée comme la « lanceuse d’alerte » dans cette affaire, a témoigné sur BFMTV du caractère « scandaleusement faible et frustrant » de cette amende, en soulignant avec lucidité pour l’avenir que « peut être que, le code pénal ayant évolué, ce type de délit serait sanctionné beaucoup plus lourdement sur le plan financier ».

Il est vrai qu’aujourd’hui, le code de la consommation prévoit, s’agissant du délit de tromperie, que le montant de l’amende peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 10% du chiffre d’affaires moyen annuel, ce qui laisse songeur au regard des 4,6 milliards d’euros de chiffre d'affaires réalisé par Servier.

En tout état de cause, la condamnation par un Tribunal correctionnel d’un laboratoire à une telle amende reste inédite en France, au vu du peu de précédents dans l’histoire judiciaire en la matière. Ainsi, les scandales sanitaires comme celui de l’hormone de croissance ou du sang contaminé n’ont jamais abouti à une condamnation de ce type. A titre de comparaison, le directeur du laboratoire PIP avait, quant à lui, été condamné à une peine de 4 ans de prison ferme et 75 000 euros d’amende par la Cour d’Appel d’Aix en Provence en 2016 pour le scandale des prothèses.

158 millions d’euros au profit des parties civiles

Le Tribunal correctionnel de Paris, dans sa décision du 29 mars, a alloué une indemnisation à chaque partie civile jugée recevable en réparation du préjudice, notamment moral, subi du fait des infractions commises par les laboratoires Servier. Au total, 158 millions d’euros ont été alloués aux parties civiles, qui en demandaient 1 milliard.

Le Tribunal correctionnel a par ailleurs ordonné l’exécution provisoire de la décision, ce qui constitue, selon maître Coubris « une réponse positive pour nos victimes, car elle oblige les laboratoires à verser la totalité des sommes à toutes les parties même si les laboratoires décident de faire appel. C'est une volonté claire de réfléchir au sort des victimes, ce qui est important car il y a encore des victimes qui décèdent à un rythme trop soutenu". 

Mardi 6 avril, le Parquet de Paris a annoncé qu'il faisait appel de la relaxe partielle des laboratoires Servier. Les laboratoires Servier, par l'intermédiaire de leur avocat, ont considéré que le Parquet de Paris "portait la responsabilité de ce nouveau procès". En réaction, ils ont annoncé qu'ils allaient également relever appel de la condamnation qu'ils estiment infondée, malgré leur volonté initiale d'accepter la décision et de mettre un terme à la procédure judiciaire. Les parties civiles, à leur tour, ont fait part de leur intention de faire appel de la décision, afin d'obtenir des "condamnations plus sévères sur le plan pénal, et une indemnisation à hauteur du préjudice subi". 

Claude Uruganda et Hubert Mary

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