« Lucas a explosé les compteurs de vie » : un enfant guérit d’un cancer du cerveau incurable

TÉMOIGNAGE. Lucas souffrait d’un gliome infiltrant du tronc cérébral, un des cancers pédiatriques du cerveau les plus mortels. Son médecin se confie.

Par Nathan Tacchi

Temps de lecture : 6 min

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« Je n'avais jamais vu cela, et pourtant, je ne suis pas né de la dernière pluie », raconte le Dr Jacques Grill. À l'occasion de la Journée internationale des cancers pédiatriques, jeudi 15 février, le médecin chercheur, responsable du programme Tumeurs cérébrales au sein du département de cancérologie de l'enfant et de l'adolescent de Gustave-Roussy (Val-de-Marne), nous raconte l'histoire pleine d'espoir de Lucas, l'un de ses patients.

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À l'âge de 6 ans, Lucas a été diagnostiqué d'un gliome infiltrant du tronc cérébral. Ce cancer, qui touche en France entre 50 et 100 enfants par an, s'attaque à une partie du cerveau extrêmement délicate et très profonde : le tronc cérébral. « Le tronc cérébral fonctionne comme un poste d'aiguillage. Tout ce qui entre et sort du cerveau passe par là », explique le Dr Grill. Le caractère infiltrant de ce cancer rend l'exérèse – l'extraction de la tumeur – impossible, le risque de graves séquelles neurologiques étant trop important.

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« C'est une maladie incurable », lance le médecin. Aucun enfant diagnostiqué ne survit. Pour traiter ces tumeurs inopérables, les médecins prescrivent de lourdes séances de radiothérapies. « Ces traitements marchent, mais uniquement transitoirement. La radiothérapie calme les symptômes, mais la maladie revient toujours. » Ainsi, comme l'explique le Dr Grill, la moitié des enfants souffrant de ce cancer sont décédés en moins de neuf mois après leur diagnostic, et la plupart meurent dans les deux ans.

L'évérolimus, traitement prometteur

Le pédiatre se souvient très bien des débuts du cancer de Lucas. « Une fois que nous avons confirmé son diagnostic par une biopsie, je suis allé dire à ses parents qu'il n'y avait aucun espoir de contrôler sa maladie beaucoup plus d'une année sous traitement. Oui, j'ai dit aux parents de Lucas qu'il allait mourir, mais que nous ferions tout pour retarder l'échéance. » Lucas, de nationalité belge, intègre alors un protocole de soins européen. Grâce à ce dispositif, l'enfant peut être traité en France, par les équipes de l'hôpital Gustave-Roussy – ces traitements étant inexistants en Belgique – tout en étant pris en charge par l'Assurance maladie belge.

Une partie des patients intégrés au protocole, dont Lucas, doit suivre un traitement prometteur, l'évérolimus. Un médicament connu pour soigner certains cancers et même certaines tumeurs du cerveau, mais pas le gliome infiltrant du tronc cérébral. L'évérolimus était réputé pour augmenter l'efficacité de la radiothérapie. Le garçon a ainsi suivi un strict protocole médicamenteux, accompagné de séances de radiothérapies.

« Très vite, nous nous sommes rendu compte que la tumeur avait considérablement diminué avec le traitement. Au fur et à mesure des IRM, nous avons l'avons vue complètement disparaître. Une première pour moi ! » se souvient Jacques Grill, la voix encore pleine d'émotion et de surprise. Pendant quelques années, Lucas a dû continuer sa prise de traitement. Côté imagerie, sa tumeur reste indétectable. « Il continuait à aller bien. Nous commencions à nous interroger : “Mais, quand doit-on arrêter son traitement ?” Mais je n'osais pas le faire. »

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Cinq ans après le diagnostic, le médecin de Lucas, 11 ans, fait une découverte déroutante au cours d'un entretien de suivi. « Il ne prenait plus son traitement ! Il lui restait des doses d'une consultation à l'autre. C'était pourtant impossible, je lui prescrivais la juste quantité dont il avait besoin. » Avec ses équipes, le Dr Grill décide alors d'arrêter son traitement médicamenteux et d'observer l'évolution du cancer. « C'était il y a un an et demi, et la maladie n'est pas revenue », raconte Jacques Grill. Lucas est guéri. Une première dans l'histoire du combat contre ce cancer pédiatrique. Une nouvelle qui apporte joie et espoir à la recherche contre le cancer.

Une mutation mystère des cellules

Si « Lucas a explosé tous les compteurs de vie », Jacques Grill refuse catégoriquement de comparer cette guérison à un miracle. « Nous sommes des chercheurs. Nous cherchons des explications », rappelle-t-il. Le spécialiste et les équipes de l'Inserm étudient en ce moment même les pistes de cette guérison. Le cas de Lucas est assez particulier. Lors du développement d'une tumeur, des mutations appelées « drivers » déclenchent le cancer. Or, chez le garçon, une deuxième mutation, présente avant la prise de l'évérolimus, est venue modifier la sensibilité de la tumeur au traitement. « Notre travail de chercheur est à présent de comprendre comment cette deuxième mutation a rendu les cellules de Lucas sensibles au traitement pour, à la fin, pouvoir trouver des traitements pour les autres, explique le Dr Grill. Nous cherchons aussi à trouver si ce qui a été modifié dans les cellules tumorales par cette deuxième mutation naturelle et spontanée peut être mimé par un médicament. »

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Dans le cadre du protocole de traitement expérimental, une dizaine d'autres enfants sont considérés comme de longs survivants, de jeunes patients vivant depuis plus de trois ans avec leur cancer. Pour le moment, aucun autre enfant n'a vu sa tumeur disparaître. « Mais chez tous ces enfants longs survivants, nous avons cette même hypothèse, c'est-à-dire que cette deuxième mutation des cellules cancéreuses a modifié la façon dont elles répondent au traitement, précise le médecin. Mais ils n'ont pas les mêmes mutations que Lucas. » Les médicaments pour mimer ces mutations seront donc différents.

« Tous les enfants ne mourront plus de ce cancer »

Cette approche de la maladie est « complètement nouvelle » et « offre des perspectives thérapeutiques complètement inattendues ». En clair, le Dr Jacques Grill et ses équipes vont s'atteler à reproduire ce que la nature a pu faire spontanément chez des patients qui ont évolué pour le mieux, en modifiant les cellules de la même manière que ces mutations qui les sensibilisent au traitement par la radiothérapie et les médicaments standards utilisés. « Nous restons très prudents, relativise le pédiatre. Si dix patients de l'essai clinique sont de longs survivants, au total, 250 patients y participaient. »

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Si cette guérison reste extraordinaire et galvanise les équipes de recherche contre le cancer pédiatrique, les recherches d'un traitement vont encore durer plusieurs années. « Pour les médicaments qui existent, nous pouvons passer assez vite à leur expérimentation clinique. Dans d'autres cas, il faut inventer les médicaments. Le processus peut alors durer dix ans, voire quinze. »

« Pour la petite histoire, mon mentor, le Dr Chantal Kalifa, m'avait toujours dit qu'elle prendrait sa retraite quand elle guérirait un patient du cancer. Elle n'a jamais pu en guérir un. En prenant sa suite, je lui devais de remplir cet objectif. Je suis donc assez content de pouvoir dire que maintenant, tous les enfants ne mourront plus de ce cancer. Mais le combat qu'on mène ne fait que commencer. »

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Commentaires (2)

  • Giclo

    A cette magnifique équipe de soignants ! Belle et longue vie à Lucas.

  • P'tit-Loup

    Beaucoup d'espoir pour Lucas, et je le souhaite, beaucoup d'espoir aussi pour toutes les personnes atteintes de cancers.
    Cette histoire est assez incroyable mais allume une petite lueur. Le / les cancers sont une terrible maladie.
    Le cas de cet enfant guéri est extra-ordinaire et montre que sur le cancer il y a encore énormément de questions sans réponses. La science médicale progresse lentement, il faudrait la pousser et l'encourager davantage.
    Courage à tous les chercheurs, aux équipes médicales et aux enfants, familles et tous les malades de cancers.