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#Metoo à l'hôpital : Patrick Pelloux dans la tourmente

Dans le service où il travaillait à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, le comportement de Patrick Pelloux avec les femmes était bien connu, comme le raconte la Pr Karine Lacombe.
Anne Jouan , Mis à jour le

Propos sexistes, mains baladeuses, agressions… Des médecins sont mis en cause, à commencer par le médiatique Patrick Pelloux. La vague qui déferle dans tous les milieux n’épargne pas l’hôpital.

Des petites graines semées comme autant d’indices à suivre. Depuis plusieurs années, la Pr Karine Lacombe évoque ce médecin « prédateur ». Sans jamais le nommer. La cheffe des maladies infectieuses de ­l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, s’exprime pour la première fois sur le sujet le 22 novembre 2020, dans une interview au « Monde ». À la question « Le machisme n’épargne-t-il guère le monde de la médecine ? » elle répond : « Bien sûr que non. J’ai beaucoup été protégée par ce chef de service exceptionnel. Mais enfin, rétrospectivement, je me dis que j’ai fréquemment observé et subi des actes qui seraient aujourd’hui qualifiés d’agressions sexuelles : une main entre les cuisses, un effleurage de seins, des allusions grivoises. Quand j’y repense… »

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Trois ans plus tard, le 31 octobre 2023, c’est dans « Ouest-France » que la Pr Karine Lacombe est interrogée à propos de son dernier livre, « Les femmes sauveront l’hôpital » (éd. Stock). Elle glisse : « Il y a quelques mois, j’ai recroisé un urgentiste dont on sait qu’il est un prédateur sexuel. Il m’a lâché : “De toute façon, avec #MeToo, on ne peut plus rien faire.” Cela veut tout dire. » Le journaliste ne rebondit pas, et la graine n’aurait pas fait de pousse si elle n’était tombée dans l’oreille du Dr Damien Barraud, anesthésiste-­réanimateur au centre hospitalier régional de Metz-Thionville. Le même jour, il retweete l’interview avec ce commentaire sibyllin : « Quelle journée mes amis. Après le charlatan des Calanques, le cochon de Saint-Antoine. » L’étau se resserre.

Une totale impunité


Le sixième chapitre de son livre, « Sexisme et sexualité à l’hôpital », aura raison du Cluedo. Jamais la Pr Lacombe ne mentionne le nom de l’urgentiste en question, elle distille seulement quelques éléments. Au lecteur de résoudre l’énigme. Or, le croisement des dates et des lieux conduit à Patrick Pelloux, à Saint-Antoine, un roi en son « harem ». La Pr Lacombe nous le confirme : « Oui, c’est bien lui dont il s’agit. Je ne l’ai pas cité parce que je voulais montrer le système dans lequel se déroulaient les études de médecine, très viril, très sexué et l’universalité de la question. »

Head of the Infectious Diseases Department at the Saint-Antoine Hospital (AP-HP) Karine Lacombe poses at the Saint-Antoine Hospital in Paris, on November 10, 2020. (Photo by Anne-Christine POUJOULAT / AFP)
La Pr Karine Lacombe, cheffe du service des maladies infectieuses à SaintAntoine, en novembre 2020. Elle dénonce les agissement de Patrick Pelloux. AFP / © AFP


Elle revient sur l’été caniculaire et mortifère de 2003, quand elle enchaînait garde sur garde aux urgences de l’établissement du XIIe arrondissement de Paris. Elle décrit « un service où plusieurs d’entre nous, jeunes cheffes de clinique, internes, même aguerries, nous nous rendions avec réticence, seule notre préoccupation de faire face à cette crise sanitaire nous permettant de supporter le regard concupiscent et les mains baladeuses d’un des médecins seniors à la réputation de don Juan bien établie ».

le président de l'Association des médecins urgentistes de France (Amuf) Patrick Pelloux, récemment muté au Samu de Paris, pose, le 09 octobre 2008 à l'hôpital Necker à Paris. Syndicaliste passionné et ardent défenseur de l'hôpital public, le médecin urgentiste Patrick Pelloux est connu pour avoir donné l'alerte sur l'ampleur de la catastrophe sanitaire liée à la canicule en 2003 (plus de 15.000 morts) et qui alerte régulièrement l'opinion sur les difficultés de l'hôpital public. AFP PHOTO STEPHANE DE SAKUTIN (Photo by STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)
Au Samu de Paris, à l’hôpital Necker en 2008. Quelques jours plus tôt, il a été évincé des urgences de l’hôpital Saint-Antoine. AFP / © AFP


Elle détaille cette façon que Pelloux, de sept ans son aîné, avait de débarquer en lançant : « Alors, les poulettes, ça piaille pas beaucoup dans ce poulailler ! » Un jour, une interne est de dos, « il la ­saisit par le cou et frotte son bas-ventre contre elle, “Mmm, te mets pas comme ça, c’est trop tentant, putain ce qu’il fait chaud !” La collègue ­sourit, gênée, et le repousse. » Karine Lacombe égrène les remarques de l’urgentiste au « comportement empreint de domination sexuelle » : « Tu fais la gueule, tu as été mal baisée hier soir ? » Le tout, écrit-elle, « dans une totale impunité ».

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 Un harceleur paré de toutes les marques de virilité, hâbleur, débordant d’assurance 

Karine Lacombe sur Patrick Pelloux

Apprenant qu’il sera le senior présent toute la nuit, les internes changent le planning de garde. Puis il la courtise, elle, en l’appelant à 23 heures, la relance, encore et encore, pour, une fois éconduit, remplacer « les tentatives de séduction par un ostracisme patent et plusieurs épisodes ­d’humiliation ». Elle résume : « Les ingrédients du harcèlement sexuel et moral se ­trouvaient ­réunis ici. Un harceleur paré de toutes les marques de virilité, hâbleur, débordant d’assurance grâce à son poste à responsabilités, au contact permanent de femmes [...] ; et une victime, avec des failles, une peur d’être déclassée et mise hors jeu du grand cirque dont la communauté médicale prenait parfois ­l’allure. »

Bien plus tard, pendant la pandémie de Covid-19, Lacombe et Pelloux se recroisent. Ils évoquent ces années, comme elle l’expose à la page 104 de son ouvrage, avec l’anecdote qu’elle livrera à « Ouest-France » : « À cette époque, tu sais comment c’était, on n’avait pas le même rapport au sexe, et puis c’était pour rigoler, moi j’ai toujours été fidèle, j’ai plutôt été le mec qui a protégé les filles. Tu sais, il y a eu des viols, heureusement, moi, j’étais là, j’ai aidé la victime. » À la fin de cette conversation, il lui lance : « “Avec #MeToo, on ne peut plus rien faire, de toute façon” ! »

(From L) President of the association Femmes Solidaires Sabine Salmon, French emergency doctor and writer Patrick Pelloux, French humorist and patron of the association
Journée internationale contre les violences faites aux femmes, grande cause du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, à l’Élysée en novembre 2017. Avec Sabine Salmon (à g.), présidente de l’association Femmes solidaires, l’humoriste Florence Foresti et Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. AFP / © AFP


Après le 7 janvier 2015 et l’attentat islamiste contre « Charlie Hebdo », pour lequel il tient une chronique médicale, après ses larmes en direct à la télévision, il devient difficile de le montrer du doigt. « Clairement cet événement a participé de son immunité, tout comme sa proximité affichée avec François Hollande », confie une ancienne ministre. Le 29 juin 2015, à l’Élysée, le président remet la Légion d’honneur à un « homme qui a gardé sa candeur d’enfant passé 50 ans ». En lui accrochant sa breloque, Hollande ajoute même : « C’est parce que vous avez fait le bien qu’aujourd’hui la République vous distingue. »


Il faut attendre le 25 novembre 2017 pour que le sujet refasse surface. Patrick Pelloux est – encore – invité à l’Élysée. L’occasion ? La journée de lutte contre les violences faites aux femmes, « grande cause du quinquennat » d’Emmanuel Macron. Tout sourire, Marlène Schiappa, la secrétaire d’État, papillonne et fait le show à la tribune. Quand Pelloux la rejoint, étrangement, toute la salle est prise d’une quinte de toux. En voici la raison : quelques semaines plus tôt, une militante a été alertée des mains baladeuses du médecin. En arrivant à l’Élysée, cet automne 2017, elle reçoit le coup de fil d’une femme personnellement concernée par les agissements de Pelloux, s’interrogeant sur sa présence sur la liste des invités.

 On m’a appris que Pelloux était loin d’avoir eu un comportement exemplaire avec la gent féminine, c’est pourquoi il a été exfiltré de Saint-Antoine 

Agnès Buzyn

Très ennuyée, la féministe envoie des messages à Sibeth Ndiaye, en charge de la communication de l’Élysée, mais aussi à Marlène Schiappa. « Et Pelloux monte quand même sur scène. La situation m’étant insupportable, je voulais marquer ma désapprobation. Alors je me suis mise à tousser. Qu’il s’affiche comme le chantre de ce sujet constitue une stratégie afin de devenir intouchable. Ce fut le cas avec Patrick Poivre d’Arvor, qui préfaça un livre féministe, ou avec le procureur de New York, tombeur de Weinstein, qui a dû démissionner en raison d’accusations de violences sexuelles. »

Sur l’estrade, mal à l’aise, Patrick Pelloux lit son discours en transpirant à grosses gouttes, sans un regard pour son auditoire. Dans la salle, le ministre de la Transition écologique l’observe. Un certain Nicolas Hulot, qui, trois mois plus tard, sera accusé de viol dans la presse.


Est également présente une autre ministre, celle de la Santé, Agnès Buzyn. Elle garde en mémoire cette journée particulière, comme elle le relate à Paris Match : « Je me suis demandé ce qu’il faisait là, car je ne le savais pas au fait de la cause des femmes. Puis, en entendant la salle tousser, j’ai compris qu’il y avait un problème. Alors j’ai questionné autour de moi, et l’on m’a appris que Pelloux était loin d’avoir eu un comportement exemplaire avec la gent féminine, c’est pourquoi il en a été exfiltré de Saint-Antoine. »

L’ex-chirurgien du CHU de Rouen, le Pr Michel Scotté, définitivement condamné en 2023 pour agression et harcèlement sexuels.
L’ex-chirurgien du CHU de Rouen, le Pr Michel Scotté, définitivement condamné en 2023 pour agression et harcèlement sexuels. © DR


En septembre 2008, la star des plateaux télé avait en effet quitté les urgences de Saint-Antoine. Viré ? Lui, à l’époque, mettait en avant une « mutation » en raison du « harcèlement » qu’il aurait subi à cause de ses ­activités syndicales. La vérité serait bien moins flatteuse. Interrogée sur les motifs de ce départ, rarissime à l’Assistance publique, la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, nous déclare : « Je n’ai pas trop envie d’en parler, car je suis tenue à une obligation de déontologie concernant les raisons qui m’ont amenée à prendre un certain de nombre de décisions. » Son entourage est plus disert : « Devant les accusations répétées de violences verbales et sexuelles, la ministre a demandé au Pr Pierre Carli, alors patron du Samu de Paris, avec lequel elle entretenait de bonnes relations, d’y exfiltrer Pelloux. Et il a été mis dans une soupente, à l’isolement, pour que ses comportements avec les femmes cessent. »

Dans une interview au « Figaro » en avril 2013, il réglait ses comptes avec Roselyne Bachelot, la qualifiant de « traître » qui « porte la haine » et qui aurait mérité de se faire virer au moins cinq fois : « J’ai toujours pas compris à quoi elle avait servi en politique. J’ai été très déçu quand elle a été ministre, elle n’était pas bonne. » En privé, il lui avait même trouvé un surnom : « le crotale ». Bachelot, serpent venimeux…

 Une seule personne m’a dit : “Je vous ai lue et j’ai reconnu Pelloux” 

Karine Lacombe


Contacté par Paris Match, l’urgentiste tombe aujourd’hui de sa chaise : « Oh, Karine Lacombe a sorti ça dans un livre ? Mais qu’est-ce qui lui a pris ? Alors là, je suis sur le cul. Putain, je vais être obligé de lui coller un procès… N’importe quoi, je n’ai jamais agressé personne. Jamais ! On était trop grivois comme on l’était alors, voilà. Ce que nous disions et ce que nous faisions est infaisable aujourd’hui, c’est sûr. Mais on rigolait bien ! » Pelloux réfute catégoriquement que le harcèlement sexuel ait été la raison de son départ de Saint-Antoine. Il met en avant la « ­jalousie » liée à une meute de journalistes débarquant un jour à la suite d’une panne électrique : « Mon chef de service a cru que je ­faisais un buzz, on s’est engueulés et le directeur général de l’époque a dit on va arrêter. »


Quand son livre sort en librairie, le 11 octobre dernier, Karine Lacombe répond aux sollicitations de la presse pour en faire la promotion, mais pas un journaliste ne l’interroge sur l’identité de l’urgentiste du sixième chapitre. « Une seule personne m’a dit : “Je vous ai lue et j’ai reconnu Pelloux”, c’est Agnès Buzyn », nous livre-t-elle. Un silence que Paloma Grossi, son éditrice avec Léa Marty, analyse : « Ce sont des choses que l’on commence à regarder en face, mais que la société n’a pas envie de voir, par confort. C’est tout le sens du patriarcat. »

Ancien chef du service anesthésie du centre hospitalier de Lavaur, le Dr Wadih Saïdi a également vu sa condamnation pour harcèlement sexuel confirmée en 2023.
Ancien chef du service anesthésie du centre hospitalier de Lavaur, le Dr Wadih Saïdi a également vu sa condamnation pour harcèlement sexuel confirmée en 2023. © DR


Au-delà du cas Pelloux, les violences sexuelles à l’hôpital, ce sont des externes, internes, infirmières, aides-soignantes, secrétaires, professeures des universités parlant entre elles pour se prodiguer des conseils : faire attention à untel car il a la main baladeuse, ne pas prendre l’ascenseur, ne jamais passer devant lui. Se donner le mot pour se protéger, ne pas subir. S’entraider face à l’inertie des directions. C’est la phrase – récente – de ce professeur de chirurgie digestive d’un grand établissement public parisien de la rive gauche : « Elle, je ne peux pas l’avoir pour secrétaire, j’aurais trop envie de bouger dedans. »

Cet autre, dans l’ascenseur, qui lance tout de go à une chirurgienne : « Tu baises ? » Ou encore ce chef de clinique qui, le soir, après avoir téléphoné à son épouse et ses enfants, toque à la porte des internes de garde pour tenter sa chance. Ce sont les mains d’un professeur d’urologie qui, en consultation et toujours dans ce même hôpital, traînent sur les cuisses des externes. Ou cet ancien doyen, médiatique et mondain, qui, pour inviter une jeune femme dans son bureau, la siffle comme on le ferait avec sa chienne. C’est cet autre doyen à une femme ­médecin venant lui demander un poste : « Alors, il va falloir coucher » et qui se prend un cinglant « Non, mais tu t’es vu ? ».

L’hôpital, un monde féodal

En représailles, la candidate ne sera jamais nommée. Agnès Buzyn se souvient de la sortie d’un ex-président de la commission médicale d’établissement à son sujet, au milieu des années 2000 à Necker. Après qu’elle a quitté son bureau, il s’épanche auprès d’un collègue : « Elle, je la verrais bien avec des bottes et un fouet. »


L’hôpital, un monde féodal, avec ses « relations ancillaires, et cette espèce de droit de cuissage entre rangs hiérarchiques, avec des gens de 50 ans enseignant à des jeunes, analyse un chirurgien. Un univers où la frontière entre contrainte et consentement est souvent mince. À Cochin dans les années 1990, soit hier, c’était sordide. L’externe passait quasi systématiquement à la casserole avec un membre de l’équipe. Aller à un tonus [fête des internes en salle de garde, NDRL] valait acceptation, de la même façon que l’on ne se rend pas à une partouze pour se regarder dans le blanc des yeux. Les filles qui s’en sortaient indemnes devaient être extrêmement costaudes ou avoir beaucoup de chance. Notre monde ne peut plus tolérer ce type de relations ».

Dans la salle de garde de l’hôpital Saint-Antoine, détail d’une fresque paillarde, datant de 1944, qui illustre l’esprit carabin.
Dans la salle de garde de l’hôpital Saint-Antoine, détail d’une fresque paillarde, datant de 1944, qui illustre l’esprit carabin. © DR


Ces dernières années, plusieurs médecins ont été condamnés dans ce genre d’affaire. C’est le cas à l’hôpital de Lavaur, près de Toulouse. Céline (nous avons modifié son prénom), arrivée comme aide-­soignante au milieu des années 1990, a subi les assauts particulièrement insistants d’un anesthésiste, le Dr Wadih Saïdi : multiplication de questions indiscrètes, propositions intimes, demandes de l’embrasser, mais aussi petites phrases : « Plus tu me repousses, plus tu m’excites », ou encore « Je t’aurai, un jour ! ».

Elle tente d’échapper au ­médecin, essuie ses réflexions graveleuses et vengeresses devant des collègues : « Tu as bien aimé quand on a couché ensemble, hein ? Dis que tu as aimé », alors qu’il ne s’était, évidemment, rien passé. Il se livre à des mouvements équivoques de la langue, lui assène : « Je vais la faire couiner, la tête dans l’oreiller. » Une fois, la salle d’attente est pleine et, au milieu d’une consultation d’anesthésie, il lui demande de venir voir un site pornographique sur son ordinateur.

« Qu’est-ce que tu me fais pour 5 euros ? »

En 2015, il lui met un billet sous le nez : « Qu’est-ce que tu me fais pour 5 euros ? » et conclut : « Et après, tu referas le lit. » Céline réclame sa mutation, mais ne l’obtient pas. Un peu plus tard, en l’apercevant, le Dr Saïdi aboie : « Tu as vu ta tête ? Tu as dû baiser tant que tu as pu ! Tu as dû le sucer tout l’après-midi. » La cadre de santé finit par affecter Céline dans un autre service. Les propos de la jeune femme ont été corroborés par huit membres du personnel, dont l’un a raconté aux enquêteurs que Saïdi aimait à répéter : « Je suis Dieu, sans moi vous n’êtes rien ! »


Le praticien, président de la commission médicale d’établissement, l’instance représentative de l’hôpital, a contesté l’intégralité des faits qui lui étaient reprochés. Il a soutenu être la cible d’une machination interne, une sorte de cabale, puis, pour minimiser ses saillies libidineuses, a avancé que ce type de commentaire était fréquent et relevait du climat de dérision générale régnant dans le milieu. Ses arguments n’ont pas vraiment ému les juges : dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis pour la cour d’appel de Toulouse en juillet 2021. Un jugement modifié en mai 2023 en cassation, mais uniquement pour le montant de l’indemnisation due à son ancien employeur. La condamnation du Dr Saïdi est donc définitive.

Un chirurgien surnommé « Frotte-man »


À la cour d’appel de Rouen, en avril 2022, le Pr Michel Scotté, chirurgien digestif aujourd’hui âgé de 65 ans, a écopé de deux ans de prison avec sursis et de cinq ans d’interdiction ­d’exercer pour harcèlement et agressions sexuelles aggravées. Il a également été inscrit au fichier judiciaire national des auteurs d’infractions sexuelles. Il s’est pourvu en cassation, mais, sa demande ayant été rejetée en mars 2023, sa condamnation est elle aussi définitive.


La directrice générale du CHU avait saisi le procureur de la République après que, en mars 2015, l’agence régionale de santé avait énuméré les comportements inadaptés de celui que les étudiants avaient surnommé « Frotte-man » : gestes et propos à connotation sexuelle, rapprochements physiques envers une interne. Une autre décrit des caresses sur les mains, la nuque, mais surtout, entre deux consultations alors qu’elle lui confie avoir des polypes vésiculaires, il déboutonne sa blouse au prétexte de les palper. La jeune femme coupe court en se rhabillant mais, avec le patient suivant, il profite de lui montrer un scanner pour caresser sa cuisse sous le bureau. L’interne prévient un médecin et détaille ces agissements devant le vice-doyen de la faculté, mais le doyen expliquera aux enquêteurs avoir minimisé les faits parce qu’il était un « bon professionnel ».

Les agissements du Pr Scotté concernaient également des patientes

Ignorait-il que ces polypes ne sont pas détectables à l’examen clinique ? Pour sa défense, le chirurgien a admis être resté « carabin », a reconnu des propos sexistes, mais avec l’excuse qu’ils font tomber le stress et détendent l’atmosphère au bloc. Il a confirmé avoir demandé à des étudiants un peu gauches s’ils tenaient « une bite » entre leurs mains, avoir interrogé certaines filles sur la couleur de leurs sous-vêtements, et même si elles étaient clitoridiennes ou vaginales.


Comme l’ont rapporté des infirmières, ses agissements concernaient également des patientes. Une malade se souvient que, juste avant son intervention pour une tumeur au foie, alors qu’elle était allongée sous un linge stérile réchauffé par un tuyau d’air, le Pr Scotté avait glissé sa main sous le drap et lui avait caressé les seins en disant : « Il fait bon là-dessous. »

Palpation mammaire injustifiée

Pendant les dix jours de son hospitalisation, le chirurgien lui a rendu visite à deux reprises, demandant au conjoint de ­quitter la chambre. Elle explique que la première fois il lui a touché la poitrine pour, selon lui, vérifier l’absence de ganglions ; la seconde, il lui a palpé les mamelons. Navré, il assure ne pas s’être rendu compte qu’il était allé aussi loin. Le Pr Scotté a admis que la palpation mammaire était injustifiée, mais jurait l’avoir fait en position debout pour sentir les cotes car… « ses seins tombaient ».

Pour le tribunal, ce geste est sans rapport avec les bonnes pratiques médicales. La cour a jugé qu’« évoquer des comportements de carabin ne saurait en réduire la gravité. Ce qualificatif décrit des actes et paroles de faits à connotation sexuelle qui, même s’ils sont commis dans un milieu qui estime ce type de comportement habituel et sans conséquence, restent quand même sexistes et de nature à porter atteinte à la dignité d’autrui ». Tout est dans le « même si ». Et surtout dans le « quand même ». 

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